E-Book, Französisch, 122 Seiten
Mauss Essai sur le don
1. Auflage 2021
ISBN: 978-2-322-24758-5
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques
E-Book, Französisch, 122 Seiten
ISBN: 978-2-322-24758-5
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
Quelle est la règle de droit et d'intérêt qui, dans les sociétés de type arriéré ou archaïque, fait que le présent reçu est obligatoirement rendu ? Quelle force y a-t-il dans la chose qu'on donne qui fait que le donataire la rend ? Considéré comme le père de l'anthropologie française, Marcel Mauss introduit dans cet essai la notion de "fait social total", les échanges et plus particulièrement le don y étant ainsi conçus comme un phénomène social qui recouvre à la fois une dimension économique, politique, religieuse et culturelle. C'est dans son Essai sur le don -- toujours actuel près d'un siècle après sa publication -- que sa notion de "fait social total" revêt sa forme la plus élaboré. Il y traite notamment du concept de mana, c'est-à-dire d'une force qui contient le Sacré et qui est pour lui présente dans toutes les formes archaïques de don et d'échange. Que ce soit dans le processus d'accumulation et de destruction de biens (le potlatch des populations indigènes d'Amérique du Nord) ou dans les échanges de dons de l'aire polynésienne (le kula décrit par Bronislaw Malinowski), il s'agit d'identifier "quelle force présente dans l'objet donné pousse le donateur à le rendre". Cette force n'est pas une valeur matérielle ni économique, elle est en elle-même la raison d'être de l'échange fondamental qui se fait avec les esprits des morts et des dieux. Outre son apport incontournable aux sciences sociales, l'Essai sur le don influencera nombre d'intellectuels et d'écrivains comme entre autres Claude Lévi-Strauss, Roger Caillois, Georges Bataille,...
Marcel Mauss est souvent considéré comme le « père de l'ethnologie française ». Marcel Mauss fut neveu et élève de Durkheim, il est surtout connu pour un certain nombre de grandes théories dont fait partie celle du don et du contre don. Parmi les autres nous pouvons citer la notion de fait social total et ses célèbres études sur les techniques du corps, la religion ou la magie (plus proche selon lui des mécanismes de la science que de la religion). Il est également considéré comme l'un des pères de l'anthropologie. On dit de Mauss qu'il n'est jamais allé sur le terrain et ne s'appuie que sur des observations d'autres personnes. On trouve pourtant dans ses ouvrages un certains nombres d'observations directes comme dans « les techniques du corps » où il parle de ce qu'il a pu voir lorsqu'il était dans l'armée ou bien dans ce texte même où il cite des exemples de son enfance en Touraine. En outre, il a beaucoup incité ses élèves à se rendre sur place pour les observations. Son parcours professionnel commence par une agrégation de philosophie en 1895. Il se tourne vite ensuite vers la sociologie religieuse et étudie à L'Ecole pratique des hautes études où il deviendra, 5 ans plus tard, responsable de l'enseignement de «l'histoire des religions des peuples non civilisés ». En 1901 il rejoint l'équipe de L'Année Sociologique, revue biennale créée par son oncle Émile Durkheim. Celui-ci décédera en 1917 et Mauss se verra échoir du travail de publication posthume de son oncle. Enfin en 1925, il fonde, avec Lévy-Bruhl et Paul Rivet l'institut d'ethnologie à Paris. Pendant tout ce temps, Mauss fut un militant socialiste toujours fidèle à ses convictions aussi et surtout dans ses travaux.
Autoren/Hrsg.
Weitere Infos & Material
CHAPITRE I LES DONS ÉCHANGÉS
ET L'OBLIGATION DE LES RENDRE
(POLYNÉSIE)
I
PRESTATION TOTALE,
BIENS UTÉRINS
CONTRE BIENS MASCULINS (SAMOA)
Dans ces recherches sur l'extension du système des dons contractuels, il a semblé longtemps qu'il n'y avait pas de potlatch proprement dit en Polynésie. Les sociétés polynésiennes où les institutions s'en rapprochaient le plus ne semblaient pas dépasser le système des « prestations totales », des contrats perpétuels entre clans mettant en commun leurs femmes, leurs hommes, leurs enfants, leurs rites, etc. Les faits que nous avons étudiés alors, en particulier à Samoa, le remarquable usage des échanges de nattes blasonnées entre chefs lors du mariage, ne nous paraissaient pas au-dessus de ce niveau 21. L'élément de rivalité, celui de destruction, de combat, paraissaient manquer, tandis qu'il ne manque pas en Mélanésie. Enfin il y avait trop peu de faits. Nous serions moins critique maintenant. D'abord ce système de cadeaux contractuels à Samoa s'étend bien au-delà du mariage ; ils accompagnent les événements suivants : naissance d'enfant 22, circoncision 23, maladie 24, puberté de la fille 25, rites funéraires 26, commerce 27. Ensuite deux éléments essentiels du potlatch proprement dit sont nettement attestés : celui de l'honneur, du prestige, du « mana » que confère la richesse 28, et celui de l'obligation absolue de rendre ces dons sous peine de perdre ce « mana », cette autorité, ce talisman et cette source de richesse qu'est l'autorité elle-même 29. D'une part, Turner nous le dit : « Après les fêtes de la naissance, après avoir reçu et rendu les oloa et les tonga - autrement dit les biens masculins et les biens féminins - le mari et la femme n'en sortaient pas plus riches qu'avant. Mais ils avaient la satisfaction d'avoir vu ce qu'ils considéraient comme un grand honneur : des masses de propriétés rassemblées à l'occasion de la naissance de leur fils 30. » D'autre part, ces dons peuvent être obligatoires, permanents, sans autre contre-prestation que l'état de droit qui les entraîne. Ainsi, l'enfant, que la sœur, et par conséquent le beau-frère, oncle utérin, reçoivent pour l'élever de leur frère et beau-frère, est lui-même appelé un tonga, un bien utérin 31. Or, il est « le canal par lequel les biens de nature indigène 32, les tonga, continuent à couler de la famille de l'enfant vers cette famille. D'autre part, l'enfant est le moyen pour ses parents d'obtenir des biens de nature étrangère (oloa) des parents qui l'ont adopté, et cela tout le temps que l'enfant vit ». « ... Ce sacrifice [des liens naturels crée une] facilité systématique de trafic entre propriétés indigènes et étrangères. » En somme, l'enfant, bien utérin, est le moyen par lequel les biens de la famille utérine s'échangent contre ceux de la famille masculine. Et il suffit de constater que, vivant chez son oncle utérin, il a évidemment un droit d'y vivre, et par conséquent un droit général sur ses propriétés, pour que ce système de « fosterage » apparaisse comme fort voisin du droit général reconnu au neveu utérin sur les propriétés de son oncle en pays mélanésien 33. Il ne manque que le thème de la rivalité, du combat, de la destruction, pour qu'il y ait potlatch. Mais remarquons les deux termes : oloa, tonga ; ou plutôt retenons le deuxième. Ils désignent l'un des parapharnalia permanents, en particulier les nattes de mariage 34, dont héritent les filles issues du dit mariage, les décorations, les talismans, qui entrent par la femme dans la famille nouvellement fondée, à charge de retour 35 ; ce sont en somme des sortes d'immeubles par destination. Les oloa 36 désignent en somme des objets, instruments pour la plupart, qui sont spécifiquement ceux du mari ; ce sont essentiellement des meubles. Aussi applique-t-on ce terme maintenant aux choses provenant des blancs 37. C'est évidemment une extension récente de sens. Et nous pouvons négliger cette traduction de Turner : « Oloa-foreign » ; « tonga-native ». Elle est inexacte et insuffisante sinon sans intérêt, car elle prouve que certaines propriétés appelées tonga sont plus attachées au sol 38, au clan, à la famille et à la personne que certaines autres appelées oloa. Mais si nous étendons notre champ d'observation, la notion de tonga prend tout de suite une autre ampleur. Elle connote en maori, en tahitien, en tongan et mangarevan, tout ce qui est propriété proprement dite, tout ce qui fait riche, puissant, influent, tout ce qui peut être échangé, objet de compensation 39. Ce sont exclusivement les trésors, les talismans, les blasons, les nattes et idoles sacrées, quelquefois même les traditions, cultes et rituels magiques. Ici nous rejoignons cette notion de propriété-talisman dont nous sommes sûr qu'elle est générale dans tout le monde malayo-polynésien et même pacifique entier 40. II L'ESPRIT DE LA CHOSE DONNÉE
(MAORI)
Or, cette observation nous mène à une constatation fort importante. Les taonga sont, au moins dans la théorie du droit et de la religion maori, fortement attachés à la personne, au clan, au sol ; ils sont le véhicule de son « mana », de sa force magique, religieuse et spirituelle. Dans un proverbe, heureusement recueilli par sir G. Grey 41, et C. O. Davis 42, ils sont priés de détruire l'individu qui les a acceptés. C'est donc qu'ils contiennent en eux cette force, aux cas où le droit, surtout l'obligation de rendre, ne serait pas observée. Notre regretté ami Hertz avait entrevu l'importance de ces faits ; avec son touchant désintéressement, il avait noté « pour Davy et Mauss » sur la fiche contenant le fait suivant. Colenso dit 43 : « Ils avaient une sorte de système d'échange, ou plutôt de donner des cadeaux qui doivent être ultérieurement échangés ou rendus. » Par exemple, on échange du poisson sec contre des oiseaux confits, des nattes 44. Tout ceci est échangé entre tribus ou « familles amies sans aucune sorte de stipulation ». Mais Hertz avait encore noté - et je retrouve dans ses fiches - un texte dont l'importance nous avait échappé à tous deux, car je le connaissais également. A propos du hau, de l'esprit des choses et en particulier de celui de la forêt, et des gibiers qu'elle contient, Tamati Ranaipiri, l'un des meilleurs informateurs maori de R. Elsdon Best, nous donne tout à fait par hasard, et sans aucune prévention la clef du problème 45. « Je vais vous parler du hau... Le hau n'est pas le vent qui souffle. Pas du tout. Supposez que vous possédez un article déterminé (taonga) et que vous me donnez cet article ; vous me le donnez sans prix fixé 46. Nous ne faisons pas de marché à ce propos. Or, je donne cet article à une troisième personne qui, après qu'un certain temps s'est écoulé, décide de rendre quelque chose en paiement (utu) 47, il me fait présent de quelque chose (taonga). Or, ce taonga qu'il me donne est l'esprit (hau) du taonga que j'ai reçu de vous et que je lui ai donné à lui. Les taonga que j'ai reçus pour ces taonga (venus de vous) il faut que je vous les rende. Il ne serait pas juste (tika) de ma part de garder ces taonga pour moi, qu'ils soient désirables (rawe), ou désagréables (kino). Je dois vous les donner car ils sont un hau 48 du taonga que vous m'avez donné. Si je conservais ce deuxième taonga pour moi, il pourrait m'en venir du mal, sérieusement, même la mort. Tel est le hau, le hau de la propriété personnelle, le hau des taonga, le hau de la forêt. Kali ena. (Assez sur ce sujet.) » Ce texte capital mérite quelques commentaires. Purement...