E-Book, Französisch, 246 Seiten
Schümperli Bonheur éphémère en pays lointains
1. Auflage 2023
ISBN: 978-2-322-54486-8
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
Kopierschutz: 6 - ePub Watermark
E-Book, Französisch, 246 Seiten
ISBN: 978-2-322-54486-8
Verlag: BoD - Books on Demand
Format: EPUB
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Jules Diserens, né en 1855, enfant illégitime d'une jeune domestique, fait fortune en Russie tsariste. De simple précepteur, il devient millionnaire et co-propriétaire d'une entreprise d'électrotechnique à Saint-Pétersbourg. Ensuite, il se retire à Lausanne où il fait bâtir des immeubles de luxe. Mais à l'arrivée de la Première Guerre mondiale, la clientèle se fait rare et Jules fait faillite. Dans cette situation difficile, il retourne en Russie et se lance dans une activité au sein d'une grande entreprise métallurgique. Ses deux fils ainés, qui ont fait des études en Suisse, trouvent également des emplois en Russie. Mais à peine sont-ils tous installés, la révolution éclate et chacun doit trouver ses moyens pour survivre aux horreurs du régime bolchévique. Ce n'est qu'en 1920 que les Diserens peuvent collectivement rejoindre la Suisse par un train de rapatriement. De retour à Lausanne, Jules est sans le sou et trop vieux pour trouver un emploi. Son seul soutien est une contribution de son fils Charles qui couvre à peine ses besoins ainsi que ceux de sa femme et d'une fille encore mineure. Et en peu de temps, toute la famille est dispersée aux quatre vents. Ce récit aborde sous des angles souvent peu conventionnels les thèmes de la migration, du rôle des femmes dans l'histoire ainsi que des tabous qui existent dans beaucoup de familles.
Daniel Schümperli a grandi dans la région zurichoise, fils d'une mère suisse-romande et d'un père suisse-allemand. Il a travaillé dans la recherche biomédicale, en dernier lieu comme professeur de biologie cellulaire et moléculaire à Berne. Il vit à Berne et est marié à l'artiste visuelle Anna-Maria Lebon. Ce livre est l'histoire des migrations aventureuses de ses ancêtres maternels, la famille Diserens de Savigny dans le canton de Vaud/Suisse.
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6. Jules s'installe en Russie
Isaline Diserens a retiré son fils Jules de sa famille d'accueil de Rovéréaz pour le ramener à Genève, probablement quand celui-ci a eu l’âge d’entrer à l'école. Mais on ne pourra sans doute jamais établir où il a habité pendant sa scolarité. Était-ce chez sa mère, chez d'autres proches, dans une autre famille d'accueil ou éventuellement chez la dame qui doit avoir financé sa scolarité par un prêt ? Ses certificats scolaires des années 1871-74 constituent en tout cas les premiers documents attestés. Entre seize et vingt ans, Jules a étudié à l’École Industrielle de Genève, renommée École Industrielle et Commerciale en 1874. Les branches enseignées étaient surtout de nature technique et administrative. Cet établissement dispensait des cours du soir à des jeunes gens en cours d’emploi. En parallèle, Jules aurait donc exercé un métier probablement technique ou artisanal à Genève. Dans ses certificats, il apparaît comme un bon élève, assidu. On y lit par exemple qu'il travaille beaucoup la nuit et devrait faire plus attention à ses yeux. Mais les certificats sont incomplets. Jules semble avoir manqué un semestre en 1873. Le certificat du dernier semestre de 1874 est par ailleurs introuvable. C’est peut-être dû à ses séjours linguistiques en Angleterre et en Allemagne que deux de ses enfants ont évoqués par la suite. Mais cela pourrait aussi signifier que Jules n’a pas terminé sa formation dans cette école. Au cours de ses études, il a fait la connaissance de plusieurs femmes de langue maternelle allemande et anglaise. Une carte de vœux coulissante datée de 1872 fait apparaître en alternance les mots allemands Glaube (foi), Liebe (amour) et Hölle (enfer). Mais l’adresse de la destinataire de cette carte n’est plus lisible. Jules possédait en outre une édition complète du poète américain H.W. Longfellow, portant la mention : « À Jules Diserens. From your affectionned friend Annie S. Raddir (ou Kaddir ?) Paris Nov. 5th. 74. Just before starting for America. » (À Jules Diserens. De votre chère amie Annie S. Raddir (ou Kaddir ?) Paris le 5 novembre 74. À la veille de mon départ pour l'Amérique.) Ce livre avait été acheté à Genève. Le poème préféré de Jules était « Excelsior ! ».15 Il le citait encore volontiers à un âge avancé. Il y est question d’un jeune homme qui, en dépit de toutes les mises en garde des indigènes relatives aux mauvaises conditions météorologiques et au risque d'avalanches, entreprend l’ascension du col du grand Saint-Bernard avec un drapeau portant cette expression. Un chien saint-bernard finit par le retrouver mort dans la neige, à côté de son étendard arborant l’inscription « Excelsior ! ». Illustration 4. Portrait de Jules Diserens, pris en 1875 par le photographe Friedrich Wunder à Hannovre et dédié à Mademoiselle J. Robinson (Source : archives de la famille Diserens) Enfin, Jules s’est fait tirer le portrait par un photographe de Hannovre. La photo dédiée « A Mademoiselle J. Robinson. Comme preuve de l'estime que je lui porte. J. Diserens. Hannover, den 28/12/75 » est toutefois restée en sa possession ou lui a été retournée, pour des raisons inconnues. Ces traces de la jeunesse de Jules montrent non seulement qu'il recherchait le contact avec les femmes, mais aussi qu'il avait développé une forte affinité pour les langues et les cultures étrangères. On peut supposer que ce n’est pas uniquement pour s‘instruire qu’il a appris l’allemand et l’anglais, mais aussi parce qu’il espérait pouvoir se construire à l'étranger un avenir meilleur que celui qui s’offrait à lui à Genève, avec ses origines. Au final, c’est toutefois en Russie qu’il est parti et non dans un pays de langue allemande ou anglaise. En 1879, alors qu’il était âgé de vingt-quatre ans, Jules Diserens est en effet entré en contact avec Jean-Pierre et Agnès Moussy, un couple de Français qui possédaient une fabrique de soie à Moscou et cherchaient un précepteur. Jules les a probablement rencontrés à Lyon, quand ils ont accompagné leurs deux fils ainés Georges et André qui entraient à l’École supérieure de commerce et de tissage. Bien que le plan d’études de son école professionnelle genevoise ne le qualifie pas forcément pour une telle activité, il obtient du recteur une recommandation écrite pour le poste de professeur de français. Ce document suffit à convaincre les Moussy de l’engager. Jules demande un passeport qui lui est délivré à Genève le 8 août 1879 à l’attention de « M. Diserens Jules, précepteur. Né à Paris (France) d'origine vaudoise, demeurant à Genève, se rendant en Russie ». Les autorités genevoises précisent également que le titulaire mesure 1,65 m, qu’il a des cheveux blonds foncés et porte une courte barbe. Jules n’est pas le seul à vouloir émigrer en Russie. Au XIXe siècle, les autorités suisses reçoivent de nombreuses demandes de passeport et beaucoup de jeunes candidat-e-s à l’émigration choisissent la Russie comme destination. Cet exode est dû au fort taux de chômage qui frappe la Suisse et au développement rapide de l'industrialisation en Russie. Mais le nombre, la formation et le domaine d'activité des émigrants variaient beaucoup d’un canton à l’autre. Alors que beaucoup de confiseurs venaient des Grisons, les fromagers et les agriculteurs étaient pour la plupart bernois ou fribourgeois d’origine. Quant aux émigrés des cantons romands (Genève, Neuchâtel et Vaud), ils ont pour la plupart occupé des postes d'enseignant-e-s ou de gouvernant-e-s dans des familles aisées. En Russie, le français était à l’époque la langue de la culture, de sorte que l'élite aristocratique et urbaine se devait de l’inculquer à ses enfants dès leur plus jeune âge par le biais de précepteurs. Les jeunes des agglomérations urbaines de Genève, Lausanne et Neuchâtel au bénéfice d'un bon bagage scolaire, mais qui, pour des raisons sociales, n’avaient pas de débouchés professionnels intéressants en Suisse, convenaient particulièrement bien pour ces missions. Ce groupe d’émigrés se caractérisait aussi par une forte proportion de femmes (plus de deux tiers).16 Jules Diserens ne s’est pas rendu directement de Genève en Russie ; il a fait étape en Allemagne. Comme à l’époque les passeports n’étaient valables qu’une année, il a dû en demander un nouveau au cours de l’été 1880. Son deuxième passeport lui a été délivré à Homburg le 16 août 1880. Jules a négligé d’y apposer sa signature. Il avait vingt-cinq ans en 1880, lors de son entrée en fonction comme précepteur chez les Moussy. C’était une tâche particulière dans une famille qui l’était tout autant. Outre le troisième fils des Moussy, Camille, il fallait aussi instruire les deux enfants Louise et Henri de la famille Chalmel (voir annexe 14 : Arbres généalogiques). Ceux-ci avaient été recueillis par les Moussy en mars 1874, à l’âge de trois ans et demi et deux mois seulement, parce que leur mère Célestine, une sœur par alliance de Jean-Pierre (voir chapitre 7, Les canuts de Moscou), était morte d’une pneumonie. La maison de Célestine et de son mari Edmond17 avait pris feu en plein hiver russe. Elle s’était précipitée dans la rue avec ses enfants et avait pris froid dans ses habits détrempés par l’eau utilisée pour éteindre l’incendie. Après sa mort, Edmond Chalmel s’était remarié, mais sa deuxième épouse n’avait pas accepté les enfants du premier lit.18 C’est pourquoi Louise et Henri Chalmel étaient restés en garde chez les Moussy. Illustration 5. Célestine Gallin-Martel et Edmond Chalmel lors de leur mariage en 1869 (Source : archives de la famille Diserens) Jules Diserens devait donc instruire un groupe d'enfants de familles et d'âges différents. Mais son activité de précepteur n’a guère duré plus de six ans. Il a ensuite épousé son élève Louise qui venait de fêter son...